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Essilor entend voir de près comme de loin

16/11/2008 - Lu 16884 fois
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Essilor est une entreprise hors du commun. Quand d'autres s'enorgueillissent de leurs racines familiales immuables et de la permanence de leur culture, lui, a traversé les siècles en mariant l'eau et le feu, le yin et le yang. Il est le résultat de l'improbable mariage entre l'entrepreneur et le communiste, l'ingénieur et le maquignon, la PME et la multinationale. La parenté d'abord. La société est née de la fusion en 1972 d'une ancienne coopérative ouvrière lorraine, l'Association fraternelle des ouvriers lunetiers (devenue Essel), fondée en 1849 par des disciples de Charles Fourier, et la société Silor créée dans les années 1930 par l'entrepreneur opticien Georges Lissac. Eloignés, ces deux mondes partageaient le même souci de l'innovation et l'ambition de l'expansion internationale. Essel avait inventé le verre progressif Varilux en 1953 et mis le cap sur le Japon, tandis que Silor s'enorgueillit d'avoir mis au point le premier verre organique (du plastique au lieu du verre) et de s'être implanté dès les années 1960 aux Etats-Unis. Aujourd'hui, le patron d'Essilor, Xavier Fontanet, semble porter en lui ces apparentes contradictions. A la fois ingénieur, homme d'affaires rusé et amateur de la chose sociale.

C'est sur ce socle étrange mais puissant que l'entreprise a conduit son expansion pour devenir en vingt ans le leader mondial incontesté de son secteur, celui des verres pour lunettes. Avec une croissance annuelle de 10 % par an sur une longue période et une marge opérationnelle voisinant les 18 %, son parcours boursier exceptionnel a permis à cette grosse PME de 20.000 personnes de devenir l'une des valeurs sûres et un des derniers refuges du CAC 40.

Essilor est désormais trois à quatre fois plus grosse dans son domaine que ses deux poursuivants immédiats, l'allemand Carl Zeiss et le japonais Hoya. Car si ces deux groupes réalisent des chiffres d'affaires proches, de l'ordre de 3 milliards d'euros, leurs activités sont très diversifiées autour de l'optique, des microscopes aux appareils photo, spécialité historique des allemands, imitée puis dépassée après guerre par les industriels nippons. Dans ces galaxies, les verres de lunettes représentent moins d'un quart des ventes.

La force, ou la chance, d'Essilor a été de ne pas faire partie de cette « aristocratie de l'optique », celle des Leica, Zeiss, Nikon, Canon ou Hoya (Pentax). Sa focalisation sur un seul métier très spécifique, et longtemps considéré comme moins noble, l'a sauvé et constitue la racine de son succès. Elle lui a notamment permis de ne pas disperser ses forces et de les investir dans les deux dimensions stratégiques de son activité : l'innovation technologique pour créer de la valeur et l'expansion internationale pour ouvrir de nouveaux marchés. De ce fait, il a été le premier à percevoir le potentiel de croissance mondial d'un secteur qui constitue à lui seul un écosystème complet.

Si des moines français et italiens ont bricolé les premières bésicles au milieu du XIIIe siècle (deux cercles en bois attachés par un clou), les innovations en matière de verres ne sont intervenues qu'après guerre avec les verres organiques, plus légers et solides que le verre, et l'invention du verre progressif pour les presbytes. Les verres depuis s'amincissent et s'enrichissent de traitements anti-reflets, anti-rayures, anti-salissures, etc. La firme, qui investit 5 % de ses ventes en recherche sort un nouveau verre tous les trois ans. Reste alors à faire jouer le marketing pour convaincre consommateur et opticien de l'intérêt de la nouveauté, évidemment plus chère. C'est là qu'intervient l'écosystème.

Celui-ci comporte trois niveaux. Au rez-de-chaussée, on trouve l'opticien, le commerçant prescripteur en contact direct avec l'utilisateur final. Puis, selon la sophistication du verre, l'opticien va directement le commander au fabricant, Essilor par exemple, si c'est une simple monture de myope. Mais s'il s'agit d'un verre complexe avec corrections combinées (myope/astigmate, myope/presbyte...), l'opticien fera terminer le verre par un laboratoire spécialisé. Les verres fabriqués entièrement en usine et destinés en priorité aux armées de myopes ou hypermétropes, représentent les trois quarts de la production en volume. Mais comme ces verres coûtent, selon leur degré de minceur, deux à quatre fois moins cher que des verres complexes, c'est une tout autre affaire en termes de chiffre d'affaires. D'où l'importance des laboratoires. La stratégie d'Essilor a donc consisté à mettre la main sur près de 270 de ces laboratoires pour récupérer plus de valeur et couper l'herbe sous le pied de ses concurrents qui étaient fournisseurs de ces labos indépendants. C'est ce qu'il a fait pour s'imposer aux Etats-Unis en 1995, pays gros consommateur, 25 % du marché mondial, mais peu converti aux verres complexes. Cette année, il est même allé plus loin en direction du verre « sur mesure », en rachetant le leader mondial des machines pour ces mêmes laboratoires. Il n'oublie pas enfin de soigner le dernier acteur de l'écosystème, dont le poids est considérable, la mutuelle. Si elle rembourse le verre, le client ne regardera pas à la dépense. Il faut donc les convaincre que le remboursement des lunettes est un produit d'appel indispensable dans leur offre.

En bon tennisman, Xavier Fontanet s'est donc attaché à travailler son fond de court et sa volée. Le fond de court pour la croissance interne, obtenue par l'innovation et l'amélioration continuelle du mix-produit. La volée pour les acquisitions qui accélèrent le mouvement et ouvrent de nouveaux territoires. Les nouveaux sont en Asie. Seuls 18 % des Chinois portent des lunettes contre 45 % des Européens ou 60 % des Américains. Essilor, qui détient déjà entre un quart et un tiers du marché mondial s'est déjà placé. Déjà, il affirme que ses marges sont aussi bonnes avec des lunettes indiennes ou chinoises à 5 ou 10 dollars qu'avec les coûteux verres occidentaux.

Qu'est-ce qui pourrait faire dérailler une telle locomotive partie pour encore vingt ans de croissance ? D'abord, le risque de l'intégration verticale dès lors qu'il devient fournisseur de ses concurrents. Et puis peut-être, une forme d'arrogance, propre au dominateur, qui lui fait balayer d'un revers de la main les soucis des organismes sociaux face aux coûts de la santé, les progrès de la chirurgie de la vision. Des menaces imprécises qui sont pour l'instant loin de troubler le contrôle absolu de son écosystème.


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